Le porno alternatif propose une diversité des corps et des sexualités.
Non, il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que les choses sont en train de changer et que les femmes sont de plus en plus en train d’imposer leur marque sur l’univers du porno. C’est le cas aussi en France, avec la vétérante Ovidie, ou les réalisations d’actrices ou ex-actrices comme Liza del Sierra, Anna Polina ou Nikita Bellucci. Et désormais également avec Anoushka, toute nouvelle metteuse en scène dont les deux premiers films viennent de sortir. Interview de présentation.
Bonjour Anoushka, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Anoushka, j’ai 38 ans, je suis réalisatrice de porno alternatif et éthique. J’ai commencé il y a un peu moins de 10 ans en travaillant avec Ovidie sur une télé à Paris, et j’ai ensuite eu envie de créer mes propres films, avec les mêmes valeurs, mais avec une esthétique différente. Raconter des histoires qui me touchent et qui font du bien.
Est-ce la rencontre avec Ovidie qui vous a donné envie de vous lancer dans le porno ?
En fait il y a eu plusieurs choses, mais ce qui a vraiment déterminé cela, c’est la rencontre avec Ovidie oui, parce que c’est par son biais que j’ai découvert le porno féministe et le porno alternatif…
Ce qui m’a vraiment poussé à me lancer c’était surtout mon insatisfaction en tant que consommatrice de porno mainstream. Je ne me reconnaissais pas vraiment dans l’offre X qui m’était proposée : de par les corps qui y étaient représentés, de par les sexualités aussi, de par les histoires également.
J’ai fait des études de cinéma et j’intellectualise beaucoup : j’avais du mal à entrer dans les histoires que je trouvais un peu cliché et pas hyper bien construites. Au-delà des aspects comme la standardisation des corps qui ne me parlaient pas, tout cela faisait que je ne me sentais ni à l’aise ni excitée… Je me suis immédiatement dit qu’il devait y avoir beaucoup de femmes dans mon cas. Quand j’ai découvert le travail d’Ovidie, je me suis aperçue que ce porno là me plaisait, m’excitait.
Je l’ai trouvé plus « feel good» (qui fait du bien, N.D.L.R.) et plus décomplexant… J’ai donc ressenti l’envie de créer à mon tour mes propres histoires, inspirées de ma vie et de plein d’autres choses, avec des valeurs similaires mais une approche un peu différente.
Les fantasmes mis en scène dans le porno traditionnel sont souvent des fantasmes vus par le prisme masculin : tout le X mainstream n’est pas comme ça, mais néanmoins cette tendance persiste. Je ne m’impose aucunement comme juge, mais de mon point de vue, je n’arrive pas à croire en ces histoires mâle stéréotypées.
Je suis quelqu’un qui a besoin de croire à une histoire, d’adhérer à des personnages un tant soit peu développés, même si dans le X on ne prend pas le temps de développer les personnages car on a la contrainte de fournir un certain nombre de scènes. Mais il est clair que les histoires de plombier qui débarque chez la ménagère ne me feront pas beaucoup d’effet…
Avant de débuter cette aventure dans le X, que faisiez-vous ?
J’ai fait des études d’audiovisuel, et j’ai toujours travaillé dans cette branche : je faisais du reportage et du montage vidéo principalement. J’officie toujours dans ce milieu car je ne vis pas du porno, je dois donc poursuivre d’autres activités.
Vous vous définissez comme réalisatrice féministe de porno éthique et alternatif : qu’est-ce que le porno éthique et alternatif ?
Le porno alternatif propose une diversité des corps, des sexualités, mais aussi des sujets. Dans chacune de mes productions, on trouve également du militantisme, qui n’est ni véhément, ni donneur de leçons car je ne me place absolument pas sur ce plan. Comme je m’adresse plutôt à un public non averti, je souligne un peu plus l’aspect pédagogique, quand il s’agit de poser certains sujets sur la table.
Il est très important pour moi d’apporter une forme de militantisme dans ce que je fais. Toutes les formes de corps sont représentées, car pour moi tous les corps sont beaux : la standardisation des corps n’existe pas dans mes films. Pas de gens hyper bien gaulés, pas d’épilation intégrale. Je vais montrer de la cellulite, des vergetures, des poils, bref des corps qui représentent la vie, grâce aux quels on peut avoir une forme d’identification.
Pareil pour les sexualités : j’ai été la toute première à montrer un homme trans dans un film Canal +, « Gloria », et également à parler de trans-identité dans mon film « Blown Away ».Le porno alternatif, c’est aussi aborder des sujets qui sont plus tabous que dans d’autres types de porno ou dans la société en général, comme parler de sexe et de handicap par exemple. Le porno éthique, moi je le définis comme un respect total du consentement, mais c’est également une manière de travailler…
Je m’implique beaucoup émotionnellement dans ce que je fais, donc que ce soit avec mon casting ou mon équipe, je vais être très à l’écoute. C’est parfois lourd à gérer, car être dans l’émotion permanente pendant 10 jours de tournage peut s’avérer compliqué, mais ça me tient à coeur. Je ne conçois pas la notion de hiérarchie, je ne vais pas imposer des choses qui n’ont pas été discutées en amont. Il est nécessaire d’avoir des réunions avant le tournage du film et avant chaque scène.
Il faut également tester les dialogues et le jeu pour définir ce que j’attends en tant que réalisatrice, car je n’impose pas de positions à mes performeurs, je ne coupe pas, je laisse libre cours à ce qu’ils veulent me donner. Je vais juste parler d’émotion et d’intention : par exemple, je leur dirai que dans une scène, c’est la complicité qui doit transparaitre.
Votre nouveau film, « Vivante », vient de sortir sur les plateformes Dorcel. C’est quoi l’histoire ?
« Vivante », c’est une histoire d’amour et de reconstruction. Louisa, la pragmatique, va tomber amoureuse de Charlotte, qui est une femme libre et créative, très différente d’elle. Elles vivent une belle histoire d’amour jusqu’au jour où Louisa a un accident qui la prive provisoirement de sa mobilité. Leur couple est mis à mal et va tenter de se reconstruire grâce à l’intervention d’une assistante sexuelle et sensuelle qui va aider Louisa à se réapproprier son corps et son couple…
Vous avez signé un partenariat avec Dorcel ?
Mes longs métrages seront distribués sur Dorcelvision et les réseaux de la famille Dorcel, à raison de 4 films par an. C’est une occasion intéressante car c’est un niveau de distribution que je n’aurais pas pu atteindre sans Dorcel. Cela me permet de toucher un public non averti, qui ne connaît pas le porno alternatif, l’idée étant de proposer une offre différente du « porno traditionnel ». Ça complète le partenariat que j’ai aussi avec Canal+ : on ouvre une fenêtre sur le monde, j’y passe ma tête pour informer le public de ce que j’ai à leur dire.
Parlons des femmes et du X. Liza Del Sierra, Anna Polina, Nikita Bellucci, Erika Lust, Kayden Kross, Bree Mills etc. Y a-t-il une vision féminine du porno ? La femme pose telle un regard différent de celui de l’homme ?
J’ajouterais également à votre liste non exhaustive Carmina, qui joue dans mon prochain film et qui est à la tête de Carré Rose Films, car c’est une femme, une artiste et une militante que j’adore.
Dans le porno ou dans le cinéma traditionnel, les femmes ont une vision très différente des hommes. Quand les scènes de sexe sont réalisées par des hommes dans le cinéma traditionnel, la façon dont le plaisir est montré me dérange…
Dans le porno mainstream réalisé par des hommes, ce qu’on montre sera forcément phallocentré, et on en oublie le clitoris. Le porno fait par des femmes, lui, va s’attarder sur le plaisir, sur la montée de ce désir entre deux personnes et non pas aller directement à l’action.
Je pense que ces deux visions, masculine et féminine, sont nécessaires, mais ce serait pas mal de laisser un peu plus de place aux femmes.
Y a-t-il un « girl power » qui se met en place et qui ébranle un peu le patriarcat en place ?
Ça fait déjà pas mal de temps que certaines s’y emploient : l’empire qu’a monté Erika Lust ne date pas d’aujourd’hui, et dans la scène alternative de Berlin en Allemagne, des femmes travaillent dans ce sens depuis longtemps déjà. Et puis il est vrai qu’en France, on commence également à mettre de plus en plus les femmes en avant : c’est bien, il faut que ça continue.
Il faut que nous puissions apporter notre vision d’une sexualité diverse, proposer « du cul » qui fasse vraiment du bien, « du cul » décomplexant.On met beaucoup de choses sur le dos du porno mainstream, toute la standardisation, mais finalement ce n’est qu’un reflet de la société dans laquelle nous évoluons. Les pubs, les applis, les réseaux offrent une multitude d’images très complexantes pour les femmes.
Les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ont-ils influé sur l’industrie pour adultes ?
Bien sûr, cela a contribué au changement. C’est un peu triste que ce soit arrivé si tardivement d’ailleurs car ça fait longtemps qu’on est confrontés à ce genre d’interrogation. Ces mouvements ont clairement insufflé un changement, notamment sur la notion de consentement, dans le porno aussi bien que dans le cinéma traditionnel Chez Dorcel, une charte a été mise en place à ce propos.
C’est nécessaire d’avoir ce genre de charte ?
Oui c’est nécessaire. C’est un peu dommage qu’il ait fallu attendre des mouvements comme #Me-Too pour les mettre en place. Quand je travaillais avec Ovidie, c’était déjà le cas : on discutait toujours beaucoup à l’avance avec les performeurs, ce respect de l’autre et du consentement a toujours existé.
Dans le porno alternatif, ces notions sont présentes depuis très longtemps.On voit l’émergence d’un nouveau métier dans le cinéma traditionnel depuis peu : les coordinateurs d’intimité.
Ce métier est-il nécessaire aussi sur les plateaux de tournage de l’industrie pour adultes ?
Le problème de ce genre de choses c’est que, malheureusement, là où il y en aurait vraiment besoin, il n’y en aura sans doute pas. Dans le porno amateur où les limites sont dépassées non-stop, là il y aurait réellement besoin de gardefous.
Par contre sur mes films, je ne ressens pas vraiment le besoin d’une personne pour gérer le bienêtre de mon équipe et des performeurs. Je travaille avec 10 personnes au maximum, c’est donc dans mes prérogatives d’être à l’écoute avant, pendant et après le tournage.
En septembre, une agence de pub s’est associée avec un fabricant de préservatifs pour créer le buzz et lancer Sextember, le mois sans porno, afin de sensibiliser les jeunes aux dangers du porno et des tubes. Que pensez-vous de ce genre d’initiative ?
Je pense que toute interdiction est mauvaise…L’important c’est la pédagogie, et ça ça passe par le biais de l’école, de la famille. Je sais qu’Erika Lust avait mis à disposition des parents un document pour les aider à parler du X et de la sexualité avec leurs enfants.
Ce genre d’initiative est primordiale. Interdire ne sert pas à grand chose. Mon travail s’adresse évidemment aux plus de 18 ans. Il ne montre rien de choquant car je filme du sexe « authentique » qui n’est aucunement orienté vers de la performance.
Nikita Bellucci dit que le danger de la standardisation, des performances en tant que normes, ce n’est pas dû au X mais à la téléréalité dont les stars agissent en clair partout sur les écrans, sans censure, et font indirectement de la pub pour leur réseaux privés sur les plateformes comme Onlyfans…
Nikita a raison : la vision des corps tend vers une standardisation extrême, et les télésréalité sont de plus en plus dangereuses car elles prennent de plus en plus de place dans le Paysage Audiovisuel Français et ailleurs.
Bon après, moi je n’ai pas la télé, mais encore une fois on accable trop souvent le porno alors que tout cela n’est que le reflet de notre société actuelle. C’est pour cela qu’il faut développer l’offre de l’alternatif, proposer des visions plus « queer», plus en lien avec ce que d’autres personnes que ces modèles là vivent.
Les plateformes comme Onlyfans ou Mym, qui hébergent du contenu X, libèrent elles les travailleurs du sexe ? Les protègentelles ?
Ça leur permet de publier leur propre contenu en totale liberté, comme ils/elles le souhaitent, et ça leur garantit une source de revenus directs. Les problèmes que l’on rencontre avec ces platesformes, c’est davantage sur le paiement. Je l’ai vécu moi-même, avec mon site web : on a du mal à vendre nos produits, nos films, car les entités géantes comme Mastercard ou Visa refusent de cautionner les paiements qui ont trait au porno,sous couvert de puritanisme… Ces politiques là tuent les petits entrepreneurs, et nous en pâtissons grandement.
Comment voyez-vous l’évolution de l’industrie du X dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
C’est toujours compliqué de se projeter aussi loin quand on ne sait même pas où en sera la planète… Je vois ça du côté de la femme, un « girl power » qui permettrait de plus en plus de productions faites par les femmes dans des conditions idylliques, avec un respect total du consentement et des coordinateurs d’intimité comme garants du bon déroulement des choses.
Personnellement, je souhaiterais une évolution financière afin d’avoir les mêmes moyens que le cinéma traditionnel pour raconter nos histoires. C’est pour cela que je me bats, parce qu’on fait de vrais films avec de vrais scénarios construits, et on a des budgets ridicules. Sans parler des travailleurs du sexe en France qui n’ont pas les mêmes droits que les acteurs du cinéma traditionnel.J’aimerais vraiment que l’on puisse sortir le X de cette case sulfureusedégueu que les troisquarts des gens ont à l’esprit quand on leur dit porno.
Je voudrais qu’on puisse dire un jour du porno que c’est aussi du cinéma, que ça fait bien partie du 7ème art. Dans le cinéma traditionnel, il y a parfois des scènes aussi explicites que celles que je réalise, et c’est une hypocrisie qui doit cesser.
Gaspar Noé ou Abdellatif Kechiche, pour ne citer qu’eux, montrent des images bien plus explicites que les miennes : je préfère pour ma part donner à voir des plans moins phallocentrés, exempts de gros plans génitaux, dont la charge érotique est plus forte. Eux sont labellisés cinéma d’auteur, ça ghettoïse notre travail.
Et vous Anoushka, que ferez-vous dans 10 ans ?
J’aimerais continuer à réaliser et produire du cinéma porno. J’aime mettre l’accent sur cinéma porno car c’est ce qui fait la différence avec ce que d’autres font et c’est ce que j’aime. Je suis actuellement en montage de mon dernier film, « Captive », qui sortira en décembre 2021 sur Canal +. Je suis épuisée car j’ai un autre job à côté et je ne gagne quasiment rien sur ce film ; je mets vraiment tout dans mes films, l’énergie, l’argent… et à la fin je suis rincée, je me dis que c’est fini, j’arrête, c’est le dernier, mais en fait j’y retourne tout le temps car sans ça je serais tellement malheureuse ! Ça me permet de m’épanouir, créer et faire des rencontres exceptionnelles.
Qu’est-ce qui vous reste encore à accomplir dans le milieu du X ?
J’aimerais qu’un film porno alternatif sorte dans de vraies salles de cinéma et que ce soit considéré comme de l’art. J’espère garder mon envie et ma santé pour me permettre de travailler encore longtemps avec des filles sans lesquelles je me sentirais moins militante et moins femme.
Sur votre Instagram, on trouve cette illustration qui dit : « ce serait tellement bien que les filles hétérosexuelles ne mesurent pas leur valeur à leur capacité à faire bander les mecs… et que les mecs hétéros pigent que tout ne tourne pas autour de leur bite… »
Oui, ça c’est le message à méditer pour les hétérosexuels… Pour moi, sortir de l’hétéronormativité, c’est aussi s’ouvrir au monde LGBTQ+. Il y a tellement de choses différentes à apprécier quand on sort de sa bulle !